Vitres teintées : la jurisprudence est de plus en plus claire…
La réglementation sur les vitres teintées a récemment été modifiée par un décret du 13 avril 2016 modifiant certaines dispositions du Code de la route relatives aux véhicules. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017 (art. 46 du décret).
- Pourquoi réglementer l’usage des vitres teintées ?
La réglementation des vitres teintées est en réalité animée par un double objectif, comme souvent en matière routière.
- D’une part, un objectif sécuritaire, qui réside dans la volonté d’assurer un contrôle visuel optimal au conducteur et aux autres usagers de la route.
- D’autre part, un objectif répressif, qui répond quant à lui à la volonté de faciliter la constatation d’une infraction routière par les forces de l’ordre. En effet, les vitres teintées peuvent dissimuler l’intérieur du véhicule et empêcher ipso facto la constatation de certaines infractions routières comme le non-port de la ceinture de sécurité ou encore l’usage du téléphone au volant.
- Que prévoient les textes ?
L’article R.316-3, alinéa 2 du Code de la route dispose d’une manière générale : « les vitres du pare-brise et les vitres latérales avant côté conducteur et côté passager doivent en outre avoir une transparence suffisante, tant de l’intérieur que de l’extérieur du véhicule, et ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs ».
Mais plus particulièrement, « la transparence de ces vitres est considérée comme suffisante si le facteur de transmission régulière de la lumière est d’au moins 70 % ».
- Quels sont les véhicules concernés par cette interdiction ?
Cette nouvelle disposition étant entrée en vigueur le 1er janvier 2017, vous devez absolument vous mettre en règle si ce n’est déjà fait, quand bien même vos vitres auraient été teintées avant cette date.
Pour le reste, tous les véhicules sont concernés par cette mesure.
En outre, l’arrêté du 18 octobre 2016 accorde une dérogation à l’égard de certains véhicules pour des raisons médicales et certains véhicules blindés (art. 2 de l’arrêté).
- Que risquez-vous ?
En application de l’article R.316-3-1 du Code de la route, le non-respect des conditions de transparence des vitres est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, soit 135€. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de 3 points du permis de conduire. De plus, l’immobilisation de votre véhicule peut également être prescrite.
Depuis 2017, la Cour de cassation a été saisie de nombreuses fois en la matière. L’étude de ses décisions montre que la Haute juridiction facilite considérablement la preuve de cette infraction en se satisfaisant de la constatation de l’agent verbalisateur de telle sorte que, pour elle, « Noir, c’est noir » (I). En outre, il n’y a malheureusement guère d’espoir en l’état du droit actuel pour se défendre (II).
- « Noir, c’est noir …
En l’état du droit actuel, la preuve de cette infraction est difficile, et ce pour une raison juridique et technique.
D’une part, le texte ne prévoit aucun mode de preuve particulier pour constater cette infraction. D’autre part, les forces de l’ordre disposent d’appareils (appelés photomètres) afin de contrôler la transparence des vitres du véhicule. Cependant, ces derniers ne sont pas homologués et ne disposent donc d’aucune valeur réglementaire.
Ces arguments ont été avancés par les justiciables et repris par certaines juridictions du fond et de nombreuses relaxes ont été prononcées : « il est difficile voire impossible de déterminer à l’œil nu si le minimum requis de 70 % de facteur de transmission de la lumière est atteint ou non »[1]. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs estimé que « le pouvoir réglementaire a entendu établir des critères de la transparence (…) incompatibles avec une appréciation visuelle »[2].
Cependant et depuis lors, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas adopté cette vision des choses.
En effet, en un arrêt rendu le 19 juin 2018, la Chambre criminelle considère que la preuve de l’infraction à la réglementation sur la transparence des vitres de véhicule est établie par la constatation de l’agent verbalisateur. En d’autres termes, la Cour de cassation admet que les vitres teintées puissent être contrôlées à l’œil nu, l’utilisation d’un appareil spécialisé n’étant donc pas nécessaire.
Cela étant, la Cour encadre la constatation des agents verbalisateurs afin de limiter tout arbitraire. Pour ce faire, elle a dégagé deux conditions cumulatives[3] :
– Premièrement, le procès-verbal doit mentionner précisément les vitres litigieuses ; et en son absence la relaxe s’impose[4],
– Deuxièmement, le procès-verbal doit faire état de l’appréciation personnelle de l’agent se fondant sur des éléments objectifs permettant de constater le pourcentage de transparence[5] (ex : le fait de ne pas pouvoir voir le conducteur ou encore l’épaisseur du filtre installé sur la vitre).
Par voie de conséquence, lorsque l’agent verbalisateur justifie le manque de transparence aux regards de ces deux considérations, l’infraction est alors suffisamment caractérisée.
Cette jurisprudence est critiquable juridiquement mais se justifie en pratique. Si d’une part, elle ne respecte pas le principe d’interprétation stricte de la loi pénale car le seuil des 70% n’est pas précisément apprécié ; elle se justifie d’autre part, car il n’existe pas d’autres moyens tangibles pour prouver l’infraction.
- … Et il n’y a guère d’espoir »
La défense est ici complexe et il y a peu d’espoir à combattre les constatations de l’agent verbalisateur.
Cependant, des moyens de défense existent :
- Tout d’abord, vérifiez que le procès-verbal mentionne avec exactitude les vitres incriminées, ledit procès-verbal également faire état de plusieurs éléments objectifs attestant d’un manque flagrant de transparence. En l’absence de ces conditions, l’infraction ne sera pas suffisamment caractérisée et la relaxe pourra être accordée, à condition naturellement d’être plaidée !
- Ensuite, l’argument tenant à l’absence d’un appareil de contrôle est inopérant. La Cour de cassation a explicitement considéré que « les dispositions des articles R. 316-3 et R. 316-3-1 du code de la route n’exigent pas la mesure du coefficient de pénétration de la lumière pour caractériser l’infraction à la réglementation sur la transparence des vitres de véhicule »[6].
- Enfin, la Cour de cassation a plusieurs fois rappelé que le contrevenant pouvait rapporter la preuve contraire sur le fondement de l’article 537 du Code de procédure pénale. Cela étant, l’apport de ladite preuve peut apparaitre complexe pour le justiciable. Concrètement, celle-ci peut être rapportée par une expertise ou par l’utilisation d’un photomètre attestant d’un seuil de transparence conforme à la réglementation routière.
Cependant, l’expertise coutera bien souvent plus chère que l’amende prononcée par le juge ; et le photomètre, n’étant pas homologué, ne constituera pas une preuve parfaite.
Au fond, le dysfonctionnement de cette répression routière réside dans son fondement textuel lui-même. Une nouvelle rédaction devrait être envisagée afin de supprimer la référence (trop) précise des 70% de transparence ou, d’intégrer dans l’article les modes de preuve par lesquels cette infraction peut être prouvée. Tout ceci ne dépend donc que du bon vouloir du pouvoir réglementaire. De toute évidence, il n’y a guère d’espoir en la matière …
Article corédigé par Thomas CRESSEINT, étudiant à l’IEJ (Préparation à l’examen d’avocat) et Jean-François CHANGEUR, avocat.