Trottinette Electrique ? c’est cool, ça roule, mais pas sans risque !
Co-écrit par Thomas CRESSEINT, étudiant à l’IEJ (préparation de l’examen d’entrée à l’Ecole d’avocats) et par Jean-François CHANGEUR, avocat spécialiste en droit pénal général et droit pénal routier.
Parce que la mobilité est une donnée essentielle pour le quotidien des Français (accès à l’emploi, accès aux soins médicaux, etc.), un projet de loi d’orientation de la mobilité (LOM) a été présenté le 26 novembre dernier lors du Conseil des Ministres.
Mobilité, innovation, accessibilité et protection de l’environnement sont les grandes idées qui inspirent ce projet. Plus particulièrement, les objectifs appréhendés par ce dernier sont clairs[1] :
– Apporter des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture,
– Innover dans les modes de transport,
– Intégrer la problématique environnementale et investir dans de nouvelles infrastructures.
En outre, ce projet attire l’attention sur un volet consacré aux « Nouveaux véhicules électriques individuels » (NVEI).
Derrière cette appellation novatrice, le Gouvernement souhaite en réalité adapter le droit actuel à de nouveaux modes de transports, tels que les trottinettes électriques, les overboards, les gyropodes et autres gyroroues.
Ces engins étant à l’origine de nombreux accidents[2], il était important de préparer la législation à ces nouveaux enjeux.
Cette actualité constitue donc l’occasion de revenir sur l’évolution juridique de ces engins.
I) LEGISLATION ACTUELLE
Il est pour le moment question d’Engins de Déplacement Personnel (EDP).
Deux catégories existent : d’une part les EPD non-motorisés et, d’autre part les EDP électriques.
Les premiers renvoient aux trottinettes, skate-boards et rollers. Cette catégorie ne pose pas de difficulté en la matière puisque les utilisateurs de ces engins ont toujours été assimilés à des piétons par l’article R. 412-34, II du Code de la route. Cette assimilation leur permet ainsi de circuler sur les trottoirs et sur les autres espaces autorisés aux piétons.
Les seconds renvoient quant à eux aux engins cités en introduction (trottinettes électriques, hoverboards, etc.). Les concernant, le droit interne ne consacre aucun statut juridique particulier[3]. En l’occurrence, en droit français, les EDP électriques n’avaient pas leur place dans le Code de la route et donc dans l’espace routier.
- Sur quelle voie peuvent-ils circuler ?
Au regard de l’article R. 412-34 du Code de la route, qui réserve l’usage des trottoirs aux seuls piétons, ces EDP électriques doivent être exclus des trottoirs. En effet, sont assimilés aux piétons, les personnes qui conduisent une voiture d’enfant, de malade ou d’infirme, ou tout autre véhicule de petite dimension sans moteur ; les personnes qui conduisent à la main un cycle ou un cyclomoteur ou encore les infirmes qui se déplacent dans une chaise roulante mue par eux-mêmes ou circulant à l’allure du pas. Assurément, les trottinettes électriques n’entrent pas dans cette catégorie.
- Ainsi, s’ils ne peuvent circuler sur un trottoir, peuvent-ils au moins circuler sur une bande cyclable ?
L’article R. 110-2 du Code de la route définit la bande cyclable comme « une voie exclusivement réservée aux cycles à deux ou trois roues sur une chaussée à plusieurs voies ». Cependant, ces EDP n’entrent manifestement pas dans la catégorie du cycle puisque ce dernier est défini, par l’article R. 311-1 du Code de la route (6.10), comme « un véhicule ayant au moins deux roues et propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l’aide de pédales ou de manivelles »[4]. Les EDP électriques sont donc aussi exclus des bandes cyclables.
- Peuvent-ils circuler sur la chaussée ?
À tout le moins, la trottinette électronique pourrait être considérée comme un cyclomoteur. Cependant, l’article L. 321-1-1, alinéa 1e du Code de la route dispose : « le fait de circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique ou les lieux ouverts à la circulation publique ou au public avec un cyclomoteur, une motocyclette, un tricycle à moteur ou un quadricycle à moteur non soumis à réception est puni d’une contravention de la cinquième classe ». Or, la trottinette n’a pas à faire l’objet d’une homologation, c’est-à-dire d’un acte attestant de la conformité du véhicule aux réglementations en vigueur.
Face à cette aporie, de nombreux députés ont alerté le Ministère chargé des transports à plusieurs reprises[5]. L’enjeu est double : d’une part, il traite de la sécurité des utilisateurs de ces EDP mais aussi des autres usagers de la route ; et d’autre part, du partage de l’espace routier entre les différents usagers.
II) LE CONTENU DU PROJET LOM (Loi d’orientation de la mobilité) :
Le projet de loi présenté par la Ministre des Transports souhaite radicalement modifier la situation actuelle, et l’utilisation des EDP électriques seront assurément soumis à un carcan légal très prochainement.
Outre la création de la catégorie des NVEI, la Ministre souhaite interdire l’usage de ces véhicules sur les trottoirs. Cependant, ces derniers pourront circuler sur les pistes et bandes cyclables à condition de respecter certaines règles de sécurité comme le port d’un équipement de protection, un système d’éclairage ou encore de freinage.
Toutefois, la question de l’assurance de ces véhicules est un point sur lequel le projet reste bien silencieux. La Fédération Française de l’Assurance considère quant à elle que l’assurance des nouveaux engins de déplacement est obligatoire, puisque les engins de déplacement personnel (EDP) motorisés sont soumis à la même obligation d’assurance de responsabilité civile que les véhicules motorisés tels que les motos ou les voitures[6].
Face à ces incertitudes, il faudra être particulièrement vigilant. « Pour certains, la garantie responsabilité civile incluse dans ses contrats multirisques habitation couvre tous les dommages accidentels de la vie courante, fût-ce sur une monoroue ou une trottinette électrique. Plus raisonnables, d’autres estiment pour leur part que si la vitesse maximale de l’engin impliqué excède 6 km/h, il s’agit d’un VTM, soumis à obligation d’assurance ; autrement dit, les conducteurs, sauf assurance spécifique, ne sont pas garantis et en plus, ce sont d’affreux délinquants »[7].
En tout cas, il est urgent que ce projet de loi puisse trouver rapidement application, car au-delà des problèmes liés à la responsabilité civile de leurs utilisateurs, le déplacement en trottinettes électriques cause de plus en plus d’accidents.
En effet, l’on déplorer pas moins de 284 blessés et 5 morts durant l’année 2017, soit une hausse de 23% par rapport à l’année 2016.
Les chiffres qui seront prochainement annoncés pour l’année 2018 risquent d’être encore plus conséquents, compte-tenu de la multiplication dans les grande ville de ce moyen de transport et l’attitude de ceux qui les « pilotent »…
Thomas CRESSEINT
Jean-François CHANGEUR
[2]https://www.leparisien.fr/societe/les-accidents-de-trottinettes-en-forte-hausse-10-10-2018-7916037.php
[3] La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 37, 17 Septembre 2018, act. 719
[4] Nouvelle rédaction de l’article issue du décret 2018-1045 du 28 novembre 2018 – art. 1
[5] Pour un exemple : Question écrite n° 4782, 23/01/2018 – transports urbains – – – Thibault Bazin – Transports. Publication au JO : 23 janvier 2018.
[6]https://www.ffa-assurance.fr/content/gyropode-hoverboard-monowheel-hoverskate-trottinette-electrique-les-nouveaux-moyens-de?parent=74&lastChecked=396.
[7] Assurance – Assurance et nouvelles mobilités : le cas de la trottinette électrique – Focus par Laurent BLOCH, Lexis Nexis, Responsabilité civile et assurances n° 12, Décembre 2018, alerte 25.