Le trac pour un avocat ? Quoi de plus naturel !
Sensation inévitable, souvent désagréable mais tellement salutaire…
L’un de mes illustres confrère disait, lorsqu’il évoquait le trac, que celui-ci était nécessairement en nous, et que si par extraordinaire il n’existait plus, l’avocat victime de cette « dépossession » ne brillait plus et s’éteignait à petit feu.
Oui, le trac est vecteur d’une remise en question perpétuelle, une sorte de « rien n’est acquis ».
Quoi de plus péremptoire pour un avocat de ne plus douter, de plus avoir peur de se jeter dans l’arène, bref d’exercer son métier avec une sorte de détachement insipide, pour ne pas dire à la limite de la vulgarité intellectuelle et parfois également humaine, induite du détachement entre lui-même et la cause qu’il défend…
J’aime et je déteste à la fois avoir le trac ; je n’imagine pas un seul instant avoir un jour la sensation de ne plus avoir en moi cette peur au ventre de prendre la parole, de m’engager parfois seul contre tous.
J’aime en quelque sorte le trac malgré moi, car je suis conscient qu’il est synonyme de comportement positif : aller à son encontre, lui faire face sans pour autant le dominer.
Lui laisser une part de vous-même pour mieux l’appréhender…
Je me souviens de cette première prise de parole désastreuse lorsque j’étais élève-avocat, devant un « parterre » d’avocats présents dans la salle d’audience, mais également de cette première audience de Cour d’Assises pour laquelle je plaidais pour un homme qui avait commis un braquage à main armée, commis d’office que j’avais été cinq jours avant le procès, alors que j’exerçais la profession d’avocat depuis à peine 6 mois…
Quel chamboulement dans la vie d’un jeune avocat fraîchement diplômé et ne connaissant guère les arcanes de la vie…
Tétanisé que j’étais, devant gérer l’inconnu, mes parents avaient tenu à assister à une partie de l’audience et même si je n’avais pas brillé, loin s’en faut, ils avaient été pour moi un soutien imperfectible et solide…
Je me souviens du nom de l’accusé comme s’il raisonnait inlassablement dans ma tête : VANKOVIC… qu’est-il devenu, cet accusé devenu condamné au bout de 3 journées d’audience durant lesquelles j’avançais tel un profane qui recherchait la lumière, avide de connaissances et doutant à chaque pas, avec la peur de mal faire…
C’est pourquoi aussi je peux détester avoir le trac, car il est susceptible de vous jouer des tours, vous faire perdre une partie de vos moyens, un peu comme le stress du reste…
même si les deux notions se rejoignent, elles sont intrinsèquement différentes.
Il faut le gérer ce trac, car s’il vous envahit trop, il vous prend à la gorge, limite vos capacités, vous accapare et vous déconcentre, vous décontenance…
Quoiqu’il en soit, au bout de pratiquement 18 années de pratique, et après avoir traité et plaidé près de 10 000 affaires, cette sensation continue de me coller à la peau et tant mieux que ce soit ainsi, car le contraire me ferait peur, un peu comme si je pouvais être perdu et décontenancé de ne plus avoir le trac.
Je ne souhaite aucunement devenir une machine programmée pour plaider, sans affects…
Le tout est de savoir le gérer quotidiennement, en fonction de sa fatigue, de son humeur et de tant d’autres paramètres ; silencieusement et sans que personne ne s’en aperçoive, surtout pas le justiciable que vous assistez, ni le magistrat !
En quelque sorte, « traquer » le trac pour mieux l’apprivoiser, mieux le dominer…faire équipe ensemble, une sorte d’alchime de l’impossible qui réussit malgré tout !